Revenir au site

Flora Clodic-Tanguy, de A à Zèbre

A la recherche du bonheur... hors, avec ou sans case !

32 ans. En quête d’alignement au millième de millimètre près, Flora Clodic-Tanguy vient de clôturer une vaste campagne de crowdfunding sur Ulule. Objectif - largement atteint : financer ce qui est à la fois projet de livre, d’évènements et de rencontres, podcast et « objet multimédia régulier » sur le thème « Au Bonheur des Zèbres » … Comment résister à pareil programme !

Cap sur le bonheur donc… mais aussi sur l’abandon, la résilience, la congruence.
Sur les zèbres aussi - terme utilisé par la psychologue
Jeanne Siaud-Facchin, surnommant ses patients de ce nom d’équidé «
avec lesquels les surdoués partagent grâce et gaucherie ». Mais Flora me l’indique de suite : « surdouée, vraiment, je n’aime pas ce mot ! »
Nous n’en parlerons donc pas.
Pas plus que de hauts potentiels.
Et pas tant que cela de zèbres d’ailleurs, est-ce bien là le sujet ?

Flora Clodic-Tanguy est en effet une boule d’énergie, toute en contraste et en subtilité, qui saute et slashe sur de nombreux sujets. Sociétaux généralement.
Arc-en-ciel aux innombrables nuances émotionnelles, Flora s’est attablée à ce thème du bonheur. Joli prétexte qu’elle travaille sans relâche. C’est ainsi qu’elle cherche dans de nombreuses directions. Casse dès que l’assemblage ne lui semble plus juste. Recherche encore. Evite les cases qu’elle teste quand même, pour s’en affranchir ensuite. Observe, beaucoup. Rencontre, plus encore. Anime comme peu d’autres une / des communautés. Et s’investit dans les causes qui lui semblent faire sens, entre écologie,
permaculture, éducation, liens entre acteurs de l’utilité sociale et de la tech, transitions – avec un « s », femmes et sororité, et j’en oublie c’est sûr !
De A à Zèbre vous avais-je dit !

Cap sur un échange rare. Où rire, émotions et authenticité se sont tous invités… que du plaisir !

Monde des Possibles : Là où tu es aujourd’hui… comment te définis-tu ?
Flora Clodic-Tanguy : Je dirais que je travaille tous les jours à être cohérente entre ce que je pense, ce que je fais, ce que je sens. Et quand ce n’est pas aligné, je bouge parce que je m’y sens inconfortable – même si la dissonance est notre lot quotidien.

Il y a donc d’un côté mon activité professionnelle : je suis consultante en communication pour des projets à consonance engagée. Le point commun de ces projets réside dans le fait que mes clients incarnent des causes, que j’ai envie de porter avec eux. Chacun, à son échelle, essaye d’attaquer un certain nombre de problématiques qui me semblent importantes, et pour lesquelles je suis prête à de me mouiller.

Et de l'autre côté, cette activité est complétée par « Au Bonheur des Zèbres », recherche personnelle, irriguée de réflexions et de rencontres, qui a pris de plus en plus de place et est devenu… un projet professionnel.
Parti d’une envie de faire des billets de blog, c'est devenu au fil du chemin, un livre en cours d’écriture – mélange de récits, galerie de portraits et série d'interviews - sur le bonheur et la douance*, mais aussi une communauté en ligne et une série d’évènements à Paris, Bruxelles, Nantes, et bientôt Lille, Lyon, Marseille, Toulouse.
Dans tous les cas, il s’agit de créer du lien entre les gens, de nourrir la tête, de prendre soin du corps, et de faire quelque chose de nos émotions.

* La "surdouance" – ou douance disent nos amis canadiens (…) désigne une intelligence hors norme,
qui se caractérise par une curiosité insatiable, un mode de raisonnement arborescent (fonctionnant
par association d'idées), une hyperactivité, une hypersensibilité, voire une extralucidité ;
elle concernerait environ un million d'adultes en France, selon les spécialistes.
Si certains surdoués vivent très bien avec leurs aptitudes, d'autres sont en grande souffrance,
se voient comme des marginaux, sont blessés de lire dans le regard des autres leur étrangeté. »

Tu parles régulièrement de clarification – concernant ton chemin, tes projets, ton positionnement.
Pourquoi ce besoin qui semble si fort, comme impérieux ?

Je me suis toujours questionnée sur qui j’étais, ce que j’avais envie de faire, comment le faire, en étant dans les cases ou en sortant des clous. Bref, sur ce qu’était mon chemin. Mais le tournant que je vois, c’est 2015.
Une triple crise.

Crise politique, sociale – avec le terrorisme, les attentats de Charlie, le Bataclan, qui vraiment me heurtent, au-delà de la chair et de cette horreur. Dans la manière qu’on a eu d’abimer notre vivre ensemble.
Cela a été très fort. Vraiment très fort.
Ces moments ont fait caisse de résonance avec ce besoin que j’avais – que j’ai - d’avancer vers plus de sens et d’authenticité.

2015, c’est aussi l’année de la COP 21 - on rejoint ici la crise écologique.
Où j’ai décidé de lâcher un poste de journaliste télé pour aller travailler sur un projet sur le storytelling et le changement climatique. J’ai ainsi commencé à affuter ma vision systémique des choses - qui est encore très partielle face à la complexité des sujets – ; à faire le lien entre ces différentes crises, sociale et écologique ; à voir leurs nombreuses imbrications. Où notre mode de vie, et ce qui me semble être le déni dans lequel nous vivons comme la violence inhérente à notre société, m’ont sauté au visage.

Enfin, la 3ème crise, plutôt existentielle, est une crise de mon couple et de moi en tant que jeune professionnelle, qui me pose des questions sur ce que signifie l’engagement, au quotidien. Dans ce contexte chargé.

La fin de l’année 2015 se termine finalement par plusieurs changements : la COP 21 s’achève, et le projet sur lequel je travaillais aussi. Je quitte l’homme avec qui j’étais depuis 6 ans; fais mes cartons ; retombe ainsi sur mes vieux bouquins sur les surdoués… et me reconnecte avec le sujet !

Jusqu’en 2015, tu ne te vivais pas comme un zèbre ?
Je vivais avec cela comme un truc en back office. Qui revenait de manière manifeste, quand j’avais des difficultés, quand je me retrouvais dans des situations complexes, tendues…
J’oubliais que c’était une particularité de fonctionnement que j’avais, mais qui se révélait vraiment dans les moments de crises. Une certaine manière de gérer les choses. De sentir les émotions. D’analyser.

Cela fait 20 ans que c’est un sujet de réflexion récurrent pour moi. Surtout pas un truc dont j’étais fière !
Mais je n’avais pas creusé, et n’assumais pas.

Je pense que si j’ai vécu cette année 2015 aussi intensément, ce n’est pas parce que j’ai cette particularité de fonctionnement. Mais le fait de l’avoir a fait que j’ai vécu ce qu’il s’est passé de manière particulièrement forte, intense.

Tu as été diagnostiquée tôt. Tu dirais quoi de ta vie avec cela ?
L’échange partit alors sur d’autres rives, lointaines, prenant leurs racines dans l’enfance hors normes qui fut celle de Flora. Une vie qui révèle. Challenge permanent de sa résilience.
Où il fut question de maladies et d’incompréhensions. D’errance. De courage - chez les différents protagonistes.
D’intuitions et de choix.

Mon fonctionnement cognitif, certes, est une donnée - forme d’hérédité, d’inné. Mais l’acquis, la manière dont cela s’est révélé, est absolument indissociable de ce vécu-là. C’est pour cela que je parle de mon passé. Et de cette résilience. C’est inextricable.

Après… j’ai été diagnostiquée à 11 ans, mais on n’a pas su quoi en faire.
Je me suis retrouvée face à une psy scolaire qui m’a fait passer un test, m’a expliqué à la fin que je faisais partie des enfants qu’on appelait encore « précoces ». Et… cela n’a rien changé ! Je me suis juste fait la réflexion : « Tu me dis que mon cerveau ne fonctionne pas tout à fait comme celui des autres ? »

Quand je t’écoute, je n’entends parler que de différences. On ne parlait pas de « plus », d’intelligence supérieure ou de choses de ce genre ?
Si si, on parlait de « plus » ; mais cela véhicule un sentiment de supériorité dans lequel je ne me reconnais pas du tout.
Moi je retenais la différence. Qui parfois a besoin d’être expliquée pour permettre aux gens de l'entourage de comprendre certains comportements et réactions... s’ils en ont envie. Et si je me sentais « brillante » sur certains points, il y a tout un tas d’autres points sur lesquels je me sentais - et me sens encore - très très en dessous, voire carrément handicapée !

Qu’est-ce que ce mode de fonctionnement signifie, recouvre ?
Que parfois j’ai des genres d’intuitions que je ne sais pas toujours expliquer.
Des bouffées d’émotions et d’empathie qui me dépassent.
Que je peux avoir les larmes au bord des yeux très facilement.
Encore une fois, je n’amalgame pas la manière dont j’ai, moi, de mélanger et de vivre tout cela, et la douance de quelqu’un d’autre. Tous les zèbres ne sont pas hyper sensibles.
Le fait est que chez moi, c’est lié, et c’est aussi comme cela que cela s’exprime. C’est-à-dire que je pense que la complexité de ma pensée est incompréhensible s’il n’y a pas d’émotions, s’il n’y a pas de nuances, d’espèce de chaos mélangé avec les émotions des autres, leurs pensées, les miennes ; et tout cela interagit.

J’ai en tête la métaphore de Sophie Brasseur et Catherine Cuche, qui ont écrit un des livres qui me semble le plus juste sur ce sujet ces derniers temps : « le haut potentiel en question ». C’est l’idée que le haut potentiel colore le rapport au monde. Sans être mieux ou moins bien…

« Si vous recouvriez les Grands Canyon pour les protéger des tempêtes,
vous ne verriez jamais la beauté de leurs formations. »
Elisabeth Kübler-Ross « La mort est un nouveau soleil »

Zébré : pour ceux qui connaissent, il doit y avoir comme une espèce d’écho voire d’aimantation. Mais pour ceux qui ne connaissent pas, quand tu l’affiches sur ton profil par exemple, qu’est-ce qu’il se passe ?
C’est juste un moyen de planter un débat qui me semble important.
Il y a ceux qui se demandent ce que c’est ; qui ne comprennent pas et s’arrêtent là.
Dommage… je les rattraperais peut-être une autre fois, ou pas.
Et puis ceux qui viennent me demander ; ceux qui se renseignent.

Mais surtout, je rapproche - dans le livre et le projet - des mots qui ne sont d’habitude pas mis ensemble ; je décloisonne, pétris, casse, rassemble, secoue et en fais un cocktail !
Du coup, il y a plein de gens, d’un côté ou de l’autre, qui me disent : je ne comprends pas ce que tu fais.
Cela dérange, remet de l’inhabituel… Sachant que ce sont des milieux qui sont habitués à être à la marge

Je suis dans l’expérimentation. J’essaye des trucs. Cela me plaît… ou pas. Cela marche… ou pas. Cela résonne, ou non ; je rétropédale ou au contraire j’y vais à fond !
Et je ne voudrais pas disparaître derrière « Au Bonheur des Zèbres » ; qu’il envahisse toute la place dans ma vie.

En quoi ton angle « les zèbres et le bonheur » est-il différent de ce qui est déjà écrit ?
Ce sujet est traité, mais toujours sous l’angle du malheur, sous l’angle négatif. On part du constat que ces personnalités au mental survolté et à la fibre émotionnelle exacerbée ne peuvent qu’être malheureuses !
Moi, ce que je trouve intéressant, c’est comment elles sont heureuses, malgré tout le reste.
Comment elles tricotent. Comment elles trouvent ce bonheur dans les interstices, dans les fêlures, dans les instants.

Et surtout, ce que j’ai envie de partager, de démontrer, sans que cela ait d’autre valeur que celle de l’expérience que j’ai vécue, c’est que cette manière particulière qu’elles ont d’être au monde, de vivre le monde, ses beautés, ses malheurs, leur fait trouver des ressources et des solutions pour des problèmes qui me semblent essentiels.
Cela donne des gens qui travaillent sur l’éducation, sur la neuro-diversité, l’écologie, les communs, le travail, la place des femmes…

Et c’est ça mon truc !
Cette diversité des manières de penser, de sentir - encore très peu accueillie dans notre société - est essentielle pour aborder des défis dont on parlait au début. Le haut potentiel, c’est un point de départ ; mon fil rouge. Je travaille sur la manière d’utiliser ce mode de fonctionnement au service du bien commun. Ce qu’on peut penser de cette forme d’intelligence, la manière dont notre société la hiérarchise, la normalise, ou la réduit au 130 de QI : ce n’est pas mon problème. Mais bien plutôt…
Comment on met toutes nos intelligences multiples au service d’un monde au bord de l’effondrement ?
Comment on peut être acteur-e-s de ces transitions aujourd’hui nécessaires et urgentes ?
Comment on essaye d’être plus heureux là où on est ?
Comment on bouge quand on n’est pas aligné-e-s ?
Les zèbres, acteurs des transitions : voilà un positionnement que j’assume pleinement ! Et j’utilise ma zébritude dans mon travail, au service des causes portées, incarnées par mes clients. Je ne me suis jamais sentie aussi forte que depuis que je trouve un sens à tout cela dans le collectif, en poussant à la convergence des acteurs.

Tu dirais de ton projet qu’il est une sorte de répertoire d’exemples ? De transmission de pépites ?
« Transmission de pépites » !
J’ai toujours cette image de l’alchimiste dans ma vie. Cette image de la boue et de la pépite.
C’est vu et revu ! Mais chez les autres et chez moi, je ne peux m’empêcher de voir, dans des moments de boue terribles, le truc qui brille. Si tu es sur la rive, que tu n’es pas un peu le nez sur la boue, tu ne la vois pas la pépite !
Cela me fait penser à cet aphorisme vu au Village des Pruniers : « Sans boue, pas de lotus ».

Si j’ai envie de travailler autant sur la résilience, c’est parce que ceux que j’ai rencontré – et il existe parfois entre zèbres, de ces connexions fulgurantes, intenses, qui permettent des discussions qui vont droit au but sans parfois bien se connaître. A l’os ! - et qui ont cette richesse, cette multiplicité d’éclats qui me touche, ont généralement vécu des choses pas simples, voire dures. C’est cela que j’ai envie de raconter : l’aventure qui m’a amenée à partir à ma rencontre, à celle des autres, où je me suis autorisée à me planter en chemin, m’arrêter, faire demi-tour, à prendre le temps…

Le dernier livre de Cyril Dion, « Petit Manifeste de résistance contemporaine », me semble essentiel sur la question du récit. Sur la prise de conscience que ceux que nous connaissons ont impliqué des réalités au milieu desquelles nous vivons. Et que de commencer à imaginer un autre monde passe aussi par de nouveaux récits qu’il nous faut être capable d’évoquer, de raconter.
En commençant par changer aussi celui que l’on fait de soi-même.

Le temps passa - trop vite, et arriva la fin de cette interview. Je posai alors à Flora la question :
Te manque-t-il une lettre, une couleur, un concept dans notre échange ?

Il me faut parler de la place des femmes, de l’écoféminisme, de ces histoires de sorcièresqui émergent, de cette sororité qu’on redécouvre, hors du rapport de rivalité.
Cette question des femmes et de l’écologie me semble vraiment importante – il y a un super bouquin sur ce sujet : « les sœurs en écologie » de Pascale d’Erm. Cette domination des femmes par le grand récit patriarcal, c’était aussi une forme de fiction qu’on ne peut plus accepter. On assiste maintenant à une convergence dans les mouvements écolos et féministes, accompagnée de prises de position et de paroles publiques plus régulières, pour que cela change. Sur tous les plans.

Et j'ai envie de parler d’amour aussi !
Qui prend plein de formes : celles de relations d’amitié très fortes que j’ai nouées pendant ces dernières années avec les Barbares, les zèbres, Duc et Offi, mes « sœurs » … Toutes des histoires d’amour.
C’est un mot que j’ai re-apprivoisé.

Disons que je suis en quête de congruence ; mais aussi, en quête de me lâcher un peu la grappe !
Après ce qui a été une véritable quête existentielle, je reviens à moi enrichie de tant de choses, avec le sentiment de m’être reconnectée au plus profond de moi. Et avec l’appétit de transformer, d’assainir ce qui m’entrave. D’avancer toujours plus en spiritualité, via la méditation. De me reconnecter tête, corps, cœur.

J’arrive au bout d’un voyage – tant perso que pro - qui a duré 2 ans. Et j’ai rarement été aussi heureuse que depuis que j’ai arrêté de vouloir corriger ce qui ne va pas, sans pour autant, faire l’autruche !

Le voyage fut riche. Veiné de multiples nuances, sujets, émotions, allers et retours.
J’y fus aussi souvent touchée.
De capter la dureté du périple avant que ne soit possible la réconciliation.
Par la complexité de ces zébrures qui, sous un abord pouvant sembler arrogant, se révélent plus souvent source d’errances et de différences chères payées.
Par la confiance de celle qui se décrit « Curieuse optimiste. Plume raconteuse d’histoires. Agrégratrice de tribus. Crowdfunding lover. Slasheuse heureuse. Amoureuse des communautés innovantes. » Pas mieux !
Merci à toi Flora ! Ce portrait n’est que le reflet d’un moment, pâle photo quand je vois ton énergie, tes recherches et questionnements permanents. Rien de définitif donc !
Et vivement de lire ton livre, de retrouver ces évènements atypiques que tu sais inventer dans les jungles parisiennes, nantaises et d’autres villes encore.
Carole Babin-Chevaye

« Heureux soient les fêlés car ils laisseront passer la lumière. »
Michel Audiard.

Flora Clodic-Tanguy, Au Bonheur des Zèbres

Quelques livres - cités ou non ci-dessus :
- Sophie Brasseur et Catherine Cuche : « le haut potentiel en question »

- Elisabeth Kübler-Ross « La mort est un nouveau soleil »

- Pascale d'Erm : « les sœurs en écologie »

- et sur la résilience à l'échelle d'une ville : programme de cité résiliente...