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Une Louve dans les supermarchés parisiens

Entre intelligence collective et inclusion sociale, un magasin si différent

Le supermarché coopératif de la Louve, ses 6 000 coopérateurs et 3 500 produits référencés, sa gouvernance collective et son projet mené par des seuls bénévoles en moins de 5 ans : incroyable joyau, au cœur du 18ème arrondissement !

A l’heure où les magasins bio, ethniques, végan et autres tendances explosent dans la capitale, la Louve impose un modèle et un projet radicalement différents. Entre offre riche à moins chère, inclusion sociale et éducation populaire… elle demande la même chose à chacun. C’est ainsi qu’à partir de l’achat initial d’1 ou 10 parts – selon ses revenus, remboursables en cas de départ, chacun donne 3 heures de travail par mois et a accès à l’assemblée générale au même titre que tous. Ce supermarché d’un autre genre décline l’inclusion dans chacun de ses choix.

Impossible de ne pas rêver de cette rencontre quand on s’appelle « Monde des Possibles » ! Ce fut donc un vrai plaisir pour moi que de passer un peu de temps avec l’une des bénévoles, Catherine Puiseux !
Voilà près de 10 ans que je connais Catherine, en charge du développement durable d’une des sociétés de médias phares du paysage français. Sobre, modeste, déterminée… la femme ne change pas quand il s’agit d’évoquer son rôle dans cet incroyable programme. De raconter ses 5 années d’un investissement fort dans ce projet hors de toute étiquette. Et de camper les enjeux d’aujourd’hui, après 1 an de vie du magasin.

Plus étonnant, les passerelles qu’elle juge si naturelles entre les projets qu’elle mène dans son quotidien au sein d’une entreprise privée et ceux de la Louve !

Entre philosophie et méthodes inspirantes sur la phase projet : ma hotte fut vite pleine. D’où mon choix de placer en annexe toute la partie « projet » - impossible à couper ! Grand merci Catherine, pour ce moment, ce récit sans fard, cette aventure qui te faisait briller les yeux tout le temps de notre déjeuner et m'éblouit encore en reprenant ces notes !!

Vous avez réussi en 5 ans à mettre en place un projet très spectaculaire : la Louve. Début 2018, vous en êtes
où ?

Nous sommes 6 000 coopérateurs enregistrés depuis le début du projet, soit environ 4 000 réellement actifs aujourd’hui. Étonnamment, cela n'a pas été difficile du tout d'agréger 500 puis 1 000 et jusqu’à 6 000 coopérateurs. Les chiffres ont grimpé très vite et la décrue ne s'amorce pas. Nous faisons toujours 2 réunions d'information par semaine, et les gens arrivent, par le bouche à oreille essentiellement.

A la fois entreprise de l’économie sociale et solidaire et coopérative de consommateurs, nous devons équilibrer nos coûts et nos dépenses, et jusqu’ici tout va bien : notre chiffre d'affaires est celui prévu dans le business plan, autour de 450 000 € par mois. Le magasin fait 1 500 m2. Environ 3 500 références de produits y sont vendues au prix d’achat, majoré de 20% sur la totalité des produits. Tout le business plan tient là-dessus, les charges - bâtiment et salaires de la petite équipe permanente - ne doivent pas excéder ces 20 % de marge.

Notre objectif, côté prix de vente des produits, serait d’atteindre au fil du temps un panier moyen de l’ordre de -40% par rapport à des achats identiques dans un autre magasin. C’est ce à quoi parvient la Park Slope Food Coop à Brooklyn, une coopérative qui a maintenant plus de 40 ans, 17 000 adhérents, et qui est notre principale source d’inspiration. Nous sommes probablement entre -20 et -30% aujourd’hui.

Le magasin est ouvert depuis la mi-novembre 2016. Nous avons d’abord passé une longue période de test, pour roder l’organisation des équipes bénévoles, les procédures qu’elles utilisent, les développements informatiques, l’équipement du magasin...

Et pour moi, c'est maintenant la période la plus importante qui commence, après la phase “projet”, celle de la vie de la coopérative, avec notamment sa dimension sociale et créative.

Dimension sociale et prix bas : la Louve semble aussi axée sur le « bon pour soi », le plaisir du bien manger, et la fierté d’une démarche responsable dans l'assiette. C’est tout cela à la fois ?

La promesse de la Louve, c’est de mettre la bonne nourriture à la portée de tous, quel que soit son pouvoir d'achat. C’est aussi « de tout pour tous » : une offre adaptée à la culture, aux goûts, aux habitudes.

On a, par exemple, des produits à destination des familles africaines, nombreuses dans le quartier. C'est pour cela que la notion de produits locaux n'a pas beaucoup de sens pour nous : il faut que cette offre existe dans notre magasin. Parce que sinon, cela n'a aucun intérêt de dire : « on est situés à Marcadet Poissonnier mais il n'y a rien pour vous dans le magasin ». Ce n’est pas possible !

Le thème central de la Louve, c'est l'alimentation. Et à partir de l'alimentation, tu revisites ta santé, celle de tes enfants, tu apprends à te questionner sur la filière qui a conduit à ce que tu aies ce produit là en rayon. Cela nous relie à beaucoup de choses.

Entre des produits exotiques venant de loin et d’autres produits destinés aux différentes populations du 18ème, vous revisitez le « manger local » …

Je le constate assez souvent, l'inclusion n'est jamais le premier réflexe, mais le second derrière l’environnement ! Quand on explique, les gens comprennent. Mais le premier réflexe, c'est souvent “Quelle horreur, un poivron au mois de novembre”. Ou “ Quelle horreur, ce produit vient d'ailleurs” ! Oui, mais si tu veux que la famille qui habite dans les immeubles voisins trouve des choses qui lui plaisent, qu'elle a l'habitude de consommer, et abordable pour elle, il faut le mettre dans le rayon ! Et compléter par un travail d’information et d’éducation.

Lorsqu’il y a un produit de la grande distribution, conventionnel, sur nos rayons, c'est qu’on n’a pas su trouver le produit bio, local, et qui fait le différentiel de prix. Comme le dit Brian (Horihan, co-fondateur de La Louve avec Tom Boothe) : tant que le monde est mal fait nos produits ne sont pas parfaits... Mais nous veillons à faire évoluer l’offre dès qu’un produit avec de meilleures caractéristiques en matière de goût, d’empreinte environnementale et de prix est disponible chez les grossistes qui nous fournissent. Cette approche multicritères et évolutive est la clé de voûte de la Louve. Son originalité. Sa signature.

C'est facile de trouver un magasin bio dans Paris, même si ce l’était moins en 2013, au démarrage du projet.

Mais il y a un tri par le porte-monnaie à l'entrée de ces magasins. A la Louve, il nous faut offrir ce qu’il faut à chacun, avec du bio ou du non bio. Cela comprend, entre autres, la possibilité d’acheter une boite de sardines, de bonne qualité à 1 €.

Toi qui travailles dans un tout autre secteur d’activité, comment es-tu arrivée dans ce projet qui mêle alimentation et éducation ?

Ce fut d’abord par un article sur un blog, puis je suis allée écouter Tom qui présentait le projet au festival Ouishare à La Villette début 2013. Il a fait un appel aux volontaires...et j’ai répondu présente séance tenante !

Déjà parce qu'il y avait la nourriture au centre du projet. Aussi parce qu'il y avait tout à faire.
Et cela semblait tellement fou de faire travailler des gens de tous horizons, bénévolement, pendant 3h tous les mois, pour mettre des poireaux dans les rayons, tenir la caisse ou balayer ! Cela semblait être à la fois tellement simple et sain de se réapproprier ensemble les clés de notre alimentation que je me suis dit “ Formidable ! J'ai envie que ça existe à Paris. “ Dans mon quartier.

J'habite dans le 18e depuis toujours ; la Louve c’est donc « mon » magasin. Celui dans lequel je vais faire mes courses familiales toutes les semaines. Et désormais, c'est aussi un lieu social pour moi. Un lieu où je passe trois fois plus de temps que je n’en prenais avant pour faire mes courses parce que je discute avec les uns, avec les autres. C'est redevenu une place de marché où se retrouve un lien social au moment des achats.

Mais on n'est pas là pour jouer à la marchande non plus, ce n'est pas l'objectif !

L'objectif derrière, c'est de transformer la connaissance des gens et la relation qu'ils ont avec leur alimentation. Donc en parallèle du magasin, il y a un projet d'éducation populaire.
L'idée, c'est de mettre de tout dans les rayons, et en parallèle d'informer, de faire partager des dégustations, de générer des rencontres ; l'un nourrit l'autre. C'est cela qui est important. Je progresse parce que j'ai compris, et parce que j'ai appris, ce qui est beaucoup plus profond que cela ne le serait par l'interdiction de tel ou tel produit.

Est-ce qu’après 1 an de vie du magasin, vous approchez de là où vous vouliez être sur ces sujets d’inclusion et d’éducation, ou est-ce que tu as le sentiment qu’il y a encore à faire là-dessus ?

Ce qui est pour nous important, c’est qu’il y ait plus encore de familles du quartier qui viennent. Les coopérateurs viennent souvent parce qu'ils sont attirés par le concept ; et pas encore assez parce que les produits y sont bons, pas chers, et surtout, en bas de chez eux. Le jour où on aura vraiment ce mélange social, on aura gagné. Cela progresse maintenant que notre comité “accueil quartier” s’est mobilisé et peut répondre à toutes les questions des passants.

L’aventure de la Louve a désormais 5 ans, 8 ans si l’on parle du tout début du projet sous une autre forme. Est-ce que des spécificités, métiers ou fonctionnements « made in la Louve » auraient émergé ?

Cela a plutôt redonné de l'importance à des savoir-faire souvent peu valorisés, par exemple : “ Qui est capable d'organiser un pique-nique ? », ou « Qui connait bien le quartier pour informer les riverains ? Pour y faire une balade en vélo ? pour proposer une balade à Barbès chez les commerçants africains ? ». Les compétences indispensables c'est aussi toute la logistique, les fêtes, ou l’organisation du buffet de la fin de l'Assemblée Générale.

Cette notion de convivialité, elle est importante dans le projet, au même titre que la gestion informatique ou le droit. La Louve, cela n’a pas d’intérêt si ce n'est qu’un magasin. L’objectif c’est de créer une vie ensemble.

Ce qui m'a plu dans le « comité de suivi » que nous avions mis en place pendant les 4 années du projet, c'est que tous ceux qui voulaient trouver un rôle l’ont trouvé. Ils ont parfois mis un peu de temps pour se caler. Mais qu’ils soient au chômage, salarié, retraité, avec des savoir-faire très divers, chacun, après un petit temps d'adaptation et de recherches sur son positionnement personnel, a trouvé sa place et la nature de sa contribution.

Le vrai projet, c’est aussi l'éducation populaire. Cela passe par des conférences, des soirées une fois par mois sur la péniche Antipode, pour des ateliers « zéro déchet », “je fais mon Kéfir”, ou sur la provenance du chocolat par exemple. Il y a des coopérateurs ou coopératrices qui ont des savoir-faire fantastiques sur de nombreux sujets, notamment dans la connaissance des produits, dans la transformation et la cuisine : c'est ce partage qui a lieu. Cela a une grande valeur. C'est aussi une manière de nous ancrer dans le quartier, de permettre à chacun de mieux le connaître au travers de ces animations.

Voilà pas loin de 5 ans que tu t’es investie fortement dans ce projet. Est-ce qu'on pourrait dire que la Louve t'a… ouvert de nouveaux champs ? apporté de nouvelles perspectives ?

J’ai pris en charge pendant le projet les aspects de gouvernance et d'animation transverse. Avec un rôle qui consistait à coordonner, puis à battre le tambour pour le faire avancer ! Cela a duré en effet 5 ans.

Aujourd’hui, ce projet me conforte dans l’évidence que l’on peut tout faire ensemble ! Du moment qu'on est plusieurs, orientés par le même aimant. Et cela m'a prouvé que ce n'était pas si incroyablement difficile.

On était quand même entourés de gens qui nous promettaient l'échec, avec des « C'est impossible, en France les gens ne donneront jamais 3h de leur temps » … alors qu’on a 6 000 personnes qui se pressent pour le faire - à des degrés divers certes, mais ce n'est pas du tout cela le point faible. Ou encore « Economiquement, vous n'y arriverez jamais ; la grande distribution ne vous ne vous laissera jamais faire ».

Qu'est-ce que j'en ai entendu ! Il fallait vraiment rester fermement rivés à nos objectifs ! Tom et Brian, qui ont beaucoup étudié le modèle de Park Slope, nous y ont beaucoup aidés.
 

Donc en premier, j’en sors renforcée sur la capacité de faire ensemble, pourvu qu'on soit dans une grande sincérité, dans un grand alignement. Mais je parlerais aussi de l’importance d’oublier le pouvoir et la hiérarchie, parce que là en particulier, c'est inefficace. Certes, il se met en place autre chose, une sorte de pouvoir informel, parce qu’il y a des gens qui sont plus charismatiques que d’autres, plus persuasifs. Mais ce ne peut pas être une influence verticale et limitante. Si c'est un management qui partage une vision, crée de la cohésion, et l'encourage, c'est formidable et donc super utile.

La Louve a renforcé ma confiance dans le collectif, mais aussi dans la possibilité d’avancer ensemble au bon rythme. Ne pas viser l’utopie, rester ancrés dans le réel, mais viser le “coup d'après” : ce que l’on peut faire aujourd’hui qui soit atteignable dans un laps de temps de 4 à 5 ans, et apporte quand même un changement majeur. Et ce n’est pas fini : désormais nous avons une plate-forme avec plusieurs milliers de coopérateurs qui partagent convictions et fonctionnement, avec un lieu physique, 3 500 produits dans les rayons, une aptitude et des moyens pour monter des événements, c'est inouï le nombre de choses que l'on peut faire à partir de là ! Et il y a encore tout à faire...

Et cette évidence en termes d’un management différent, elle a sa place dans ton monde professionnel ?

Dans mon travail et à la Louve, ce sont les mêmes sujets ! Le lieu et le contexte diffèrent, mais les projets que je porte sont les mêmes.

Si l’on s’astreint à prendre le temps de capter le potentiel de chacun, ses envies, ce qui le fait vibrer, comment il a envie d'être par rapport aux autres ; puis que l’on se serve bien de tout cela au service d'un projet qui a du sens pour tout le monde : on fait alors des trucs incroyables et assez rapidement !

Je vis cela aussi dans mon quotidien professionnel. Et cela marche très bien. Je suis encore plus qu'avant ancrée sur le collectif.

Aujourd’hui, j’ai - plus que jamais ! - la certitude que la transformation est possible. Qu’elle est possible partout. Il y a les mêmes gens au-dedans et au-dehors de l’entreprise, de la Louve, et de tout projet. Avec des envies, du potentiel, de la joie à travailler ensemble. Et Je réfute l’idée que je serais naïve !

Dans mon rôle professionnel - la responsabilité sociétale de l’entreprise, comme à la Louve, on vise une société durable et inclusive. Ce ne sont pas avec les mêmes outils, et pas le même point de départ, mais les objectifs sont les mêmes.

Je partage avec beaucoup de monde la conviction que si nous ne changeons pas très rapidement, dans les années qui viennent, nos manières de produire et de consommer, cela être cataclysmique pour la biodiversité, les écosystèmes et nous in fine. Mais je pense aussi que ce changement doit la passer d’abord par soi-même. Et notamment dans la manière dont on mange ; parce que finalement, c'est cela qui nous relie le plus à la biosphère. Quand on mange de manière tout à fait dissociée, sans penser à ce qu’il y a dans notre assiette, on ne crée pas cette connexion, ni l’occasion de la prise de conscience. Mais… c'est peut-être un peu compliqué mon histoire ?!

Et finalement, du carbone et autres chasses à la surconsommation ou au gaspi par exemple, liées au développement durable, jusqu’à l’inclusion : tu en es où aujourd’hui ?

J’aimerais qu’il y ait encore plus de gens qui se lèvent pour défendre cette notion d'inclusion sociale. Pour travailler dans le développement durable depuis une douzaine d'années maintenant, la conviction que je me suis forgée à la fin, c'est que ce n’est pas seulement en travaillant sur le carbone qu'on va y arriver. C'est en travaillant sur les inégalités et sur l'inclusion sociale.

Retravailler à ce que chacun ait une place égale dans la société, cela va aussi entraîner à rebours des transformations du monde du travail, des modes de production, des modes de consommation, etc.

Aujourd’hui, j'ai tendance à considérer les choses par l’importance absolue de l'inclusion sociale.

Ce qui fait beaucoup de combinaisons et d’aller et retour finalement, entre la Louve et mon activité professionnelle ! Je fonctionne vraiment mieux avec la conjonction “ET” qu’avec “OU”. Cela m’est extrêmement utile.

On changerait tellement plus vite les choses si on cessait d’opposer et de chercher l’affrontement, pour se focaliser sur ce que l’on a envie de faire ensemble.

Catherine Puiseux

ANNEXES

ZOOM sur les étapes d’un projet pas banal !

4 ans de projet avant l’ouverture du magasin. Une gouvernance permettant à chacun de s’exprimer et de donner son avis… avec 4 000 coopérateurs-bénévoles actifs potentiels ! Une organisation proche de celle de certaines entreprises dites « libérées ». Et l’ouverture il y a 1 an d’un magasin offrant déjà plus de 3 500 références.

Focus sur 4 aspects de ce projet :
 

1/ GOUVERNANCE

La gouvernance est portée par 2 pôles. Ce sont…

- les salariés – 7 à temps complet à ce jour - très autonomes. Ils font tous les choix concernant la gestion quotidienne du magasin et des achats

- l'assemblée générale (AG).
Elle comprend toute personne qui a acheté au moins 10 part de La Louve (1 part si l’on est aux minima sociaux), sur la base d’une personne = une voix. Soit donc 4 000 coopérateurs actifs aujourd'hui.
Nous faisons une AG 6 fois par an ; c’est là que sont prises les décisions de politique générale et que l’on répond aux questions des coopérateurs et coopératrices.

Nous avons élaboré un système qui permet à chaque membre qu’il y ait 10 ou 10 000 personnes, de partager un point à discuter ou à voter sur la base du “Code Morin” en vigueur au Québec. Le comité élu, appelé “comité ordre du jour », est là pour organiser les agendas des assemblées générales sur propositions des coopérateurs. Tout coopérateur peut venir au « comité ordre du jour » qui se tient 1 fois par mois, et demander qu’un point précis soit discuté en AG. Le comité établit les priorités par rapport à l'ensemble des actions, et aide le coopérateur à instruire ce point ou lui donne la réponse si elle existe déjà. J’avais mis en place ce comité dès la phase projet, donc bien avant la phase actuelle.

- Enfin, pendant la phase « projet », nous avions aussi un « comité de suivi », où participaient une quarantaine de personnes issues des différents comités de travail. Et nous avons tenus des réunions bimensuelles pour croiser la vision des uns et des autres, prendre les décisions opérationnelles, sur la base desquelles nous redistribuions l’information à tous les coopérateurs.

 

2/ L’ANIMATION et LA COMMUNICATION
On a beaucoup communiqué. Tom Boothe avait un discours assez visionnaire, profond et assez drôle, et d’autres, dont je faisais partie, un discours peut-être plus technique, plus gestionnaire. Ce sont les deux ensembles qui ont bien fonctionnés.
On a fait tous les niveaux de communication, c'est-à-dire le compte-rendu exhaustif de 10 pages 1 lundi sur 2, plus La « Louveletter », plus la communication de l’AG tous les 2 mois, exhaustive voire interminable, mais totale. De façon à ce que chacun soit plutôt repu d’informations qu’en demande d'information. On a plutôt donné « trop » que « pas assez ». Tout le monde recevait tout. Transparence totale.

Et le « comité de suivi » a toujours été ouvert à tout le monde. C’est sûr que, là tu vois l'envie d'implication de chacun, pour aller le soir entre 19h30 et 23h, parfois minuit, 1 lundi sur 2… c'est engageant !

Mais on a toujours dit “ venez, c'est ouvert à tout le monde, les observateurs sont bienvenus. Dites-nous juste combien vous êtes pour que je prépare les chaises ».


Mais dès le démarrage, il s’agit vraiment de définir ensemble la vision que l’on a du projet, puis de s’y accrocher. Le partage de cette vision de départ est vraiment fondamental, parce que si tu te mets à osciller au milieu, c’est foutu. On a donc partagé sur ce qu'on voulait que la Louve soit, et ce qu'on ne voulait pas qu'elle soit. Le fait que Park Slope existe en parallèle, et que l'on puisse s’y référer sans arrêt dans les moments de doute, évidemment ça nous a énormément aidé.
Et c’est sûr que le projet est tellement accrocheur, emballant, et fait du sens pour tout le monde, qu’il suffisait de bien gérer les énergies des uns et des autres ! Et de prendre beaucoup de soin pour informer. J’y ai passé beaucoup de temps à faire des comptes-rendus exhaustifs, avec nos doutes, nos choix du jour. A expliquer ce que nous décidions et pourquoi.

Le reste, cela a juste consisté à mettre en commun les énergies de la bonne manière.

Et toujours, à se préoccuper uniquement de la phase d'après : au début, j’avais commencé à faire des diagrammes et projections à moyen et long terme, mais j'ai très vite abandonné. J’ai réduit mon niveau de formalisation, en me disant que finalement ce qui était magique, c'était qu'on s'occupait le lundi du prochain problème et pas plus. Et tous ensemble, on a toujours trouvé des solutions. Toujours. Parfois c'était l’un, parfois c'était l'autre ; et c'est tout.


3/ L’ORGANISATION

Au moment le plus intense du projet il y avait jusqu’à 20 commissions différentes !

Sur tous les sujets : aménagement du local, achats, communication, informatique, finance, sécurité, droit social, droit des organisations, etc. Tout le projet s'est donc monté avec ces commissions, 1 ou 2 coordinateurs par commission, et le comité de suivi qui permettait de s’accorder sur les différents sujets ou phases.
Le tout avec des bénévoles uniquement. C’est ça le miracle !
J'ai animé ce comité de suivi pendant 5 ans, avec l’ensemble des coordinateurs. Cela concernait les choix à opérer, ou des étapes avec un jalon commun. Tout s’est mis en œuvre, chacun avec ses compétences, son envie, son mode d'action.

L’une des difficultés a été qu'on ne fonctionnait pas avec un groupe fixe d'individus, mais avec un groupe qui sans arrêt, sans arrêt, grossissait. Donc des gens qu'il fallait acculturer au projet ; parmi lesquels il fallait trouver des compétences qui rejoignent le projet et les besoins du projet.

Et donc, pendant 5 ans, il y a eu une espèce de double flux, d'arrivées et de formation à ce qu’est la Louve et d'identification de ceux qui pourraient rejoindre les comités, et de départs aussi parce qu'il y a de l'érosion partout quand tu fais du bénévolat.

C’est une difficulté en soi de mener un projet alors qu'on est 7 au début et qu'on est 4 000 à la fin…


4/ ENFIN, LES CRITERES DE CHOIX DES PRODUITS REFERENCES DANS LE MAGASIN

Ce choix est important, parce qu’il touche à l’essence même du projet de la Louve. Ce n’est pas ma spécialité, sauf en tant qu’acheteuse des produits bien sûr. Mais c’est la compétence de Tom, Brian et aujourd’hui de tous les salariés. Nous nous sommes bien sûr beaucoup inspirés de Park Slope Food Coop à Brooklyn, avec ses 40 ans de recul, et qui fonctionne super bien. Et s’y ajoute tout un travail compliqué, aux multiples critères, que font nos acheteurs. Et qui doit allier la philosophie de la Louve et permettre en même temps de respecter l'équilibre économique de la coopérative. Ce qui est fondamental pour assurer les salaires notamment.

Ces critères prennent en compte le prix des produits, mais aussi leur composition, la provenance, la responsabilité sociétale, environnementale, etc. Dans ce choix de produits, la question du goût est très importante. Parce que finalement, si l’on s'engage dans un projet comme celui-là, on peut le faire par militantisme un certain temps, mais si cela ne nous satisfait pas personnellement, au bout d'un moment, la question des 3h que l’on vient y faire tous les mois revient quand même assez fréquemment ! Donc il doit y avoir quelque chose qui nous attache un peu viscéralement à ce magasin qui est le nôtre. Les produits que l’on y achète doivent donc nous satisfaire pleinement. Il faut que l’on y aille parce que l’on a envie de ces produits qui sont bons, moins cher, originaux, et font que notre alimentation redevient quelque chose dont nous sommes fiers ; pas quelque chose que l’on consomme sans y mettre de conscience. Moi c'est ça au début qui m'a amené à la Louve. C'est parce que ce que j'avais dans mon assiette ne me remplissait pas, ni de joie ni de fierté, ni de quoi que ce soit. Ça me nourrissait seulement.

Là, j'ai repris goût à avoir des aliments dont je suis fière dans mon assiette.

Propos recueillis par carole babin-chevaye