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2040... avec Mariette Darrigrand

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Décoloniser notre imaginaire, avec Mariette Darrigrand, sémiologue

Dans le podcast "Dites à l'Avenir que nous arrivons", réalisé avec les Eclaireurs - le média des initiatives positives de Canal+ Group - et l'Institut des Futurs souhaitables, Mathieu Baudin, Directeur de l'Institut reçoit un.e invité.e qui lui partage son regard sur l’époque, confie ses visions de futurs souhaitables et ses contributions concrètes pour les faire advenir. Ces échanges se finissent sur un conte uchronique, situé en 2040, lu par Mathieu, que nous co-écrivons sur la base des idées et éléments de l'invité.e.

#CParti!

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2040...

Nous sommes dans le creux d’une colline basque qui fleure bon la préhistoire.

Un espace qui symbolise pour toi, Mariette, l’origine du monde,

entre Sarre et Aïnoha…

Depuis cette magnifique colline, nous embrassons terre et ciel encore mêlés.

Tu te souviens ? Dans les cosmogonies anciennes, on appelait cela le chaos…

C’est en 2022 qu’est justement paru ton livre sur ce sujet.

Nous vivions en effet une époque de désordre.

Un monde VUCA, comme on le désignait alors :

Volatile, Incertain, Complexe et Ambigu.

Les Hébreux en d’autres temps l‘appelaient tohu-bohu.

De ces périodes d’instabilité qui nous poussent à la réinitialisation des choses ;

qui nous invitent à être créatifs pour ensemencer le réel.

Ce mot de chaos est réapparu très fortement dans les années 2020.

Époque idéologique et violente s’il en est.

Juchée sur cette ligne de crête,

Notre humanité ne savait pas très bien de quel côté nous allions basculer…

-Cette génération s’est inscrite dans une dialectique avec le tout petit, les interstices, la possibilité du faire.

C’est dans les années 30 que celles et ceux que l’on appelait la Génération K, sont arrivés aux manettes. K, en référence à Katniss Everdeen, héroïne d’Hunger Games, cette trilogie du début du siècle qui réinterprétait le mythe de la révolte face aux aliénations de l’ordre établi.

Tout à la fois utopiste et réaliste, cette génération a vu les choses en grand.

Redécouvrant les aspirations lyriques de la politique tout en s’attachant à être extrêmement pragmatique, elle s’est inscrite dans une dialectique avec le tout petit,

les interstices, la possibilité du faire.

Je me souviens qu’au début des années 20, tu développais une idée liée au langage évidemment…

Il s’agissait de créer des Doxaroom. De petits lieux ouverts à toutes et tous,

où l’on pouvait venir déposer toutes les voix d’autorité nous dépeignant le monde de manière laide et non vivante, porteuses de maux, m-a-u-x, qui se répandaient alors.

-Ta doxaroom est même devenue la 8e partie des Jardins Publics

Mais c’est le jour où tu as rencontré un couple d’urbanistes que le concept a pris véritablement corps. Un nouveau type d’espace est apparu dans nos villes, véritable ressourcerie dédiée au tri sémantique, où il était possible de venir poser un mot problématique pour soi, ou un terme répété par différentes sources avec trop d’insistance qu’il en devenait suspect.

Chacun a commencé à amener ses expressions, termes ou vocables.

À les écrire. À les poster. Parfois à les imager…

Ta doxaroom est même devenue la 8e partie des Jardins Publics.

En effet, en son temps, le jardin médiéval comprenait tout ce qu’il fallait pour vivre :

du potager pour manger aux herbes médicinales pour soigner,

des fleurs pour introduire du beau dans sa vie à l’espace pour se parler, pour se séduire ou pour parler avec Dieu, comme à celui dédié aux herbes sauvages,
au contre discours, où l’on mettait du désordre dans l’ordre….

À ces 7 parties, le XXIe siècle en a donc ajouté une 8e.

Lieu consacré aux mots face à l’invasion par le langage.

Pour échapper aux voix d’autorité qui prenaient toute la place.

Je me souviens d’une construction de désaccords sur le mot chaos, qui y fut analysé pour finalement être rejeté !

Devenu un tic du discours médiatique, il véhiculait part trop des images d’abysses, de peurs métaphysiques extrêmement grandes…

Tu nous le rappelais souvent alors, que penser, étymologiquement, c’est poser le pour et le contre. C’est frotter pour produire une étincelle.

Ici, ce qui comptait n’était pas le match entre chaos et ordre,

ou entre ordre et désordre,

mais bien la troisième voie qui s’offrait à nous. Je t’entends encore me dire : pour dépasser le binaire, on ne s’en sortira que par l’oblique !

Bien sûr… il y eut des difficultés !

Comme celle de convaincre les gens que la doxa était dangereuse malgré la rassurance qu’elle apportait.

C’est là que les trans-publishers intervinrent.

Révolutionnant le monde de l’édition et des médias, ils avaient compris que la culture ne pouvait plus être fragmentaire. Ils se sont mis à assembler autrement des bouts, des morceaux, interconnectant des mots issus d'une chanson et d'un livre, d'un texte philosophique ancien et d'un podcast plus récent,

et ont commencé à créer un patchwork hétérogène mais cohérent, réinsufflant d’autres focales et surtout de nouveaux possibles.

Ce fut quand ces trans-publishers et ces générations K sont entrés dans le monde qu’on appelait autrefois monde du travail que tout devint possible.

-Voyager était le premier travail de l’homme...

Et là, synchronicité, c’est à cette période que l’on fit une découverte détonante.

Alors que, depuis longtemps, avait été prise l’habitude de considérer le mot latin tripalium pour origine du mot travail, véhiculant à travers cet instrument de torture antique une idéologie valorisant la souffrance rédemptrice, la découverte en 2027, à Kunara, au nord de l’Irak, de nouvelles pages inédites de l’épopée de Gilgamesh enchantèrent la communauté des linguistes.

Il était en effet mentionné très explicitement que voyager était le premier travail de l’homme...

Le travail émancipateur… un voyage…

La langue de Shakespeare avait gardé en son sein le secret de cette acception.

To travel, voyager en anglais provenant du français … travailler !

L’énergie était autre !

Ce fut passionnant tout à la fois de nous voir embrasser le travail tel un voyage.

Et de constater combien la notion de voyage, dont nous avons eu si peur qu’il ne puisse plus exister entre 2020 et 2030, avait évolué.

L’idée, comme le prônait Gandhi en son temps, n’étant plus de faire dix fois le tour du monde - responsabilité carbone oblige -,
mais de faire une seule fois le tour de soi-même...

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Pour retrouver cet épisode du podcast "Dites à l'avenir que nous arrivons" :

Mariette Darrigrand - podcast "Dites à l'avenir que nous arrivons"
Mariette Darrigrand - podcast "Dites à l'avenir que nous arrivons"
Mariette Darrigrand - podcast "Dites à l'avenir que nous arrivons"
Mariette Darrigrand - podcast "Dites à l'avenir que nous arrivons"

Et le livre paru aux éditions LEDUC :

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