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Emilie Bret, startupeuse, maman et fondatrice de Louise le chatbot

Retours et questionnements sur une vie bien chargée, entre famille, course au temps, frénésie du numérique et développement personnel

Novembre 2017. Station F. La halle grouille, entre événements, occupants d’une heure, d’un jour ou plus habituels. Et c’est un véritable tourbillon autour de notre salle-îlot.

Voilà quelques mois déjà que nous nous connaissons avec Emilie, échangeant autour du projet qu’elle construit avec Loïc, son compagnon. Projet, startup, recherches multidirectionnelles… tous ces mots semblent marcher à la fois, quand je pense à Emilie et à nos échanges.
J’ai de suite aimé l’idée du projet, Louise le chatbot, dont la 1ère baseline, « marketing’ement » peu correcte : « Louise la copine de la loose » me faisait sourire ! Accompagner les gens dans leur quotidien ; les aider à garder leur cap, à tenir leurs décisions, à se ressourcer avec ce qui leur fait du bien : bien qu’en phase de démarrage, Louise le chatbot - ou Hey Louise - est déjà étonnante de fraîcheur, de justesse, de profondeur tout en légèreté.

J’ai aimé aussi l’énergie d’Emilie, palette subtile de force, de détermination et d’authenticité dans sa recherche qui allait au-delà de ce projet. Femme, trentenaire, architecte de formation et dans son début de vie professionnelle, maman d’une jeune Margot de 2 ans ½ et… startupeuse.

D’où mon envie de passer un moment avec elle, et tenter de capter ce qui la porte à construire. A ouvrir certaines portes ; à prendre des virages radicaux, exigeants, et parfois peu compréhensibles de l’extérieur, mais tellement congruents avec qui elle est.

Comment tu te définis aujourd’hui ? Entre architecte, startupeuse, maman, co-fondatrice de Louise…

C’est dur encore à définir ! J’ai l’impression d’être en mouvement permanent.
Par contre, j’ai clairement mis entre parenthèse mon rôle d’architecte. Je n'arrive plus trop à me présenter comme ça. Mais de là à me présenter comme startupeuse…

Chez Paris Pionnières, où nous avons été incubés avec Loïc (son compagnon) pour notre projet, je me souviens d’une question qu’avait posée l’une des membres du jury au moment du pitch : « est-ce que tu vis de ce que tu fais ? Si tu n'en vis pas, ce n’est qu’un passe-temps. »

Et j’ai encore cette forme de culpabilité dans le coin de la tête, qui fait que j'ai du mal à dire “oui c'est mon métier”.

Cézanne ou de nombreux « grands » n’ont jamais vécu de leur art, par exemple. Si tu te laisses légitimer par le fait que quelqu'un paye ta prestation, est-ce que cela n'est pas attendre d’eux le droit de faire ce que tu souhaites faire ? Une reconnaissance ?

C'est le problème d'imposture dont on parle souvent, même si je m’améliore de jour en jour !
Je pense que je l’aurais tant que je n'aurai pas conclu une vraie action, avec un retour palpable. Alors que là, j’ai seulement le sentiment « d’aider » les gens qui se connectent sur Louise…

Mais je ne me dis pas non plus : “ je vais prendre un travail à côté, pour me nourrir, et en même temps, en parallèle, je vais faire le truc qui me passionne”. Autrement j'aurais monté une asso.
Ce n’est pas un hobby !

Si l’on parle de choses « visibles », vous avez quand même gagné le 2nd prix à un « startup weekend » mi-avril. Ce qui veut dire que les membres du jury vous ont choisis face à d’autres startups ?

C’est vrai. En fait j’ai du mal avec le mot de « startupeuse ». Pas avec celui d’entrepreneuse ! Parce que j'ai vraiment l'impression que j’entreprends ; que j’entreprends ma vie.

Les images de start-ups qu'on a dans les articles, c'est souvent à coup de levée de fonds, de gens qui foncent et sont audacieux. Et c’est là que j’ai plus de mal à me reconnaître, dans ce côté-là.

Quand j'entends « startuper », j'ai l'impression que ça veut dire “ fonceur”. Et moi, j'ai l’impression de foncer au ralenti.
Par contre entrepreneuse, oui, je m’y reconnais.

Qu’est-ce qui t’irait pour te présenter ?

J'allais dire « exploratrice ».
Je suis « chercheuse » sur « comment on fait pour impacter au quotidien les gens de façon positive ». Chercheuse d'outils, de ce que je peux mettre à la disposition des gens de façon simple. Avec une véritable mesure d’impact.

Si on revient sur le déclic : tu as exercé pendant près de 5 ans en tant qu’architecte. Qu'est-ce qui fait que l'on passe de l'archi à Louise le chatbot ?

Pendant que j’étais architecte, il y a eu la crise qui a généré une baisse de la stimulation en agence. Il y avait moins de boulot, peu d’émulation intellectuelle, et surtout très peu de contacts avec les gens pour qui on faisait les projets.

Or pour moi, les architectes qui me faisaient envie, c'était des architectes qui laissaient une grande part aux utilisateurs pour s'approprier les lieux, qui s'intéressaient réellement aux gens en fait !

J'aimais beaucoup des gens comme Patrick Bouchain, Sou Fujimoto et Kengo Kuma, par exemple. Je trouvais qu'ils avaient une capacité à émerveiller les gens avec des choses très subtiles. De créer quelque chose de sensible, à faire ressentir des choses positives.

Pour mon master, j'avais présenté l’idée qu’on utiliserait les outils de Design Thinking au profit de l'architecture, pour aller collaborer plus avec les gens ; pour mieux comprendre leurs besoins.

Avec Loïc, on a même essayé de monter une plate-forme pour l'habitat participatif ; puis fonctionné avec des collectifs pluridisciplinaires pour créer des lieux beaucoup plus en interaction avec les usagers.

Or dans les marchés publics auxquels je participais dans les agences d’archi, le système était ainsi fait qu’on ne voyait pas comment ça allait vraiment impacter. On avançait tellement décorrélé des gens pour qui on travaillait et pour lesquels on voulait avoir un impact positif, que j’ai perdu le sens de ce que je faisais.

Loïc était beaucoup plus dans une ambiance start-up. Et il continuait à cultiver son envie d'entrepreneur. Moi, c’est un moment où j'avais l'impression de me laisser mener, mais qu'un jour, ma barque allait taper dans quelque chose qui allait me faire réagir !


Puis, j’ai fait un bébé. Margot. 2 ans ½ aujourd’hui.

Et eu un licenciement économique dans la foulée.

Cela a été une opportunité d’un temps de réflexion, de recul.
Loïc m'avait donné envie de l’aventure entrepreneuriale : on regardait déjà les cours de The Family, et vu le film “ le Bonheur au travail”. C'est pour ça aussi que je n'avais pas envie de retourner en agence, parce que je n'avais aucun exemple autour de moi d’architecte épanoui dans ce cadre ! Aucun ne me disait : “ c'est top on travaille dans des conditions super, on collabore”… J’entendais partout « on y passe nos nuits, on est tous charrette !”.
D'un côté, il n'y avait pas beaucoup d'agences qui me faisaient rêver. Et de l'autre côté, je voyais que c'était possible d'avoir de nouveaux modes de travail, de nouveaux modes de vie.

Plus qu’un déclic, on pourrait parler de cheminement vers toi ?

De réflexion sur soi ; sur le « comment ne pas perdre le fil ». Cette discipline au quotidien qui est, je trouve, difficile à acquérir. Malgré le fait que l’on pense savoir ce qui est bon pour soi.
C’est un peu comme arrêter de fumer : tu sais que ce n’est pas bon pour toi – sachant que je ne fume pas ! -, et pourtant tu replonges dès que tu retombes dans ton quotidien ! C'est cela que Louise est censé justement apporter, et que l’on veut aider à acquérir : de l'autodiscipline.

C’est sûr que de prendre le temps de cette recherche de sens, de direction dans mon travail s’oppose à la vision qu’a mon entourage, pour qui « on doit déjà être heureux si on a un travail ! »
Ce qui, je crois, a donné l'impression à certains que je m’étais payé un luxe monumental en prenant le temps de m'arrêter. Même si j'avais le prétexte de ma fille, et que tout le monde était content que je prenne du temps pour elle.

- Traiter les gens comme s'ils étaient ce qu'ils pourraient être et vous les aiderez à devenir ce qu'ils sont capables d'être - Goethe

Et comment on fait le dernier mètre qui va vers Louise ? Car entre sens et besoin d’impact, tu aurais pu faire plein d'autres choses. Par exemple, dans le domaine de l'économie sociale et solidaire.

On avait vraiment envie de se connaître mieux. C'est pour ça qu'on s’est tournés vers le développement personnel. En effet, quels que soient les projets, à chaque fois, on déviait, on se perdait. On a vraiment vu que c'était très facile de perdre le fil. Et très dur de tenir de la discipline au quotidien, de tenir le cap de quelque chose.

Déjà, il faut savoir où on veut aller. Ensuite, alimenter cela. Actualiser sa grille pour pouvoir se dire “ là oui, je suis au bon endroit » ; garder ses bases solides. C'est vraiment une discipline du quotidien. Qui demande à la fois de s’adapter, et de rester ancré.

C’est cet angle qui nous a semblé la clé à suivre. Et on a eu envie que ce soit cela qu’amène Louise.

Aujourd'hui, c’est quoi les difficultés dans cette étape de vie d’entrepreneuse ?

L’étape est pas mal sur le questionnement équilibre vie de maman / vie de startupeuse.

J'ai toujours l'impression de devoir choisir entre le fait d'accorder du temps à ma fille - et du coup de ralentir – ou de travailler. En même temps, c'est une de mes sources d’énergie !

Je me souviens d’avoir entendu un jour une femme disant “ je ne passe qu'une heure avec mes enfants mais c'est une heure de qualité”. Pour moi, 1h c'est vraiment trop peu ! Mais ça me demande d'être très efficace quand je travaille.

J'ai aussi du mal à prendre du temps pour moi, entre ce rôle de maman et celui d’entrepreneur.

Il y a peu, je me suis retrouvée à côté de 2 étudiantes startupeuses. Et c’était incroyable ! A côté d’elles, j'étais un peu le stéréotype de la fille qui a des freins, des doutes, qui est maman et en plus travaille sur le projet avec son compagnon ! Alors que cela a plein de points positifs, je me suis sentie vraiment décalée ! De l'autre côté, il y avait ces jeunes filles, qui semblaient n’avoir aucun frein, pas d'attache, aucune contrainte et qui disaient « n’avoir rien à perdre » !

Et je serai toujours un peu décalée avec ces personnes ! Parce que, oui, cela me fait beaucoup de bien d’aller networker ou de me faire une soirée autre, mais pour notre fille, on a envie d'avoir un certain cadre, ce qui génère des contraintes.

Et c'est quoi les avantages de ta situation, par rapport aux deux jeunes femmes dont tu parlais ?

Déjà le fait de le faire avec Loïc. On est en soutien H24 ! Ce qui peut avoir d’autres désavantages, mais on peut compter sur l'autre. On peut parler du projet à n'importe quel moment. C'est aussi une opportunité de grandir ensemble de le faire ensemble. C'est peut-être pour ça que, parfois, il y a une charge émotionnelle plus forte.

L'entrepreneuriat, c'est un vrai marathon ; tout le monde le dit. Mais le fait d'avoir Loïc et Margot, c'est un vrai cadre. Oui… d’avoir un enfant, surtout pour nous qui sommes 2 profils créatifs, ça recadre vraiment!

Est-ce que les membres de votre entourage captent votre démarche ? Celle de créer un projet important pour vous, et de prendre le temps d’être alignés avec son objet, sa mission.

Ce n’est pas simple, c’est sûr. J’essaye qu’on ne me pose pas trop de questions !

Une fois, j’ai même été à 2 doigts de dire que je reprenais mon métier d’architecte ; j’ai eu envie de mentir pour ne plus de m’entendre dire « tu en es où de ton truc ? ».

C’est dit évidemment sans aucune méchanceté, mais que j'entends un peu comme “c’est pas bientôt fini” ?

Bien sûr que je comprends que notre projet n’est pas simple à suivre ; on a déjà pivoté. On le refera sans doute encore. On avance quoi!

Avec comme principe de ne rien avoir à leur demander. Sur le plan financier, je veux dire.
Dans un mode de vie qui nous va bien, sans beaucoup de dépenses matérielles.

Mais ce n’est pas concret pour notre entourage. J'essaye d’expliquer que cela peut prendre du temps, mais je ne crois pas que cela les rassure !

Quand je dis que cela peut prendre vraiment un peu de temps… J’ai l’impression que pour mon entourage, c'est vraiment un luxe de prendre le temps de penser à soi et à ce qu'on veut faire dans la vie.

Qu’est-ce qui t’aiderait comme comportements ?

J'aimerais qu'on ne me demande pas où j'en suis ! Qu’on me fasse confiance en fait. Ils ont peut-être envie d'être impliqués plus ; mais je ne sais pas comment les nourrir.

Même si j'essaie d'avoir l'air optimiste, j’ai l’impression qu’autour de moi ils ont envie de résultats concrets, à palper. Là.

Si je leur disais que je suis chercheuse…

C’est sûr que d’aller entreprendre alors que j’ai fait 6 ans d’études dans un autre secteur, je comprends bien que c’est en décalage, par exemple pour mes parents. Ils ont quand même contribué à m’aider à faire ces années d’études ! Mais même s’ils ont vraiment envie de m’aider et de m’encourager, je vois bien que ce n’est pas simple pour eux…

Je sais pas comment expliquer pourquoi je ne suis plus architecte. Que cela ne faisait plus beaucoup de sens pour moi.

Et que peut-être je me sens capable de toucher à plein de choses.
Il y a un truc que je me dis tout le temps, c’est : “rien d'impossible”. C’est très familial ça.

Je me rappelle d’un jour, j’avais 11 ans. On écoutait la radio avec mon père, dans la voiture, en allant chercher ma mère. On a entendu parler d’un concert où j’aurais adoré aller, qui avait lieu à la Halle Tony Garnier à Lyon, devant laquelle on était en train de passer.

Mon père a alors réussi à trouver des places alors que le concert venait de démarrer, à nous y faire rentrer lui et moi, puis à en ressortir - ce qui était normalement impossible -, pour aller chercher ma mère à la gare, et de nous faire re-rentrer ma mère et moi pour voir la fin du spectacle !!
Ce n'était pas possible… Mais c'était possible !

Ma mère m’inspire aussi beaucoup cela, quand elle est déterminée à faire quelque chose.

Et aujourd'hui, est-ce qu’il y a des choses qui te semblent peut-être pas impossibles mais vraiment dures sur le chemin de l’entreprenariat ?

C'est dur, pour moi, de savoir si on est dans un timing “ normal”, de déterminer les prochaines étapes. J'ai toujours du mal à savoir quelles sont-elles. De savoir ce qu’il faut anticiper pour la suite.

Est-ce qu'il faut commencer à construire une machine quand on n’a pas vraiment tout mis en place ? Comment on anticipe de grossir ?

A quel moment on s’entoure d’autres personnes, on constitue une équipe ? Par exemple, on a un développeur, là, qui est je pense un bon, et c'est très dur de trouver de bons développeurs. Est-ce que c’est le moment de le faire monter à bord, car il doit finir une mission à peu près en ce moment. Mais si ça se trouve, c'est dans 3 mois qu’on en a besoin vraiment…

Ou aussi, comment je présente le projet, alors que les idées et outils sont encore en question, en mouvement ? Quand je dis chatbot, soit les gens ne savent pas ce que c'est, ils pensent que c'est quelque chose qui répond à tout, ce qui leur fait peur, soit ils disent « super », sans toujours comprendre. Donc comment en parler clairement, de façon à ce que les gens comprennent sans jargon ?

On peut d’ailleurs imaginer une autre solution très peu technique, et finalement aussi utile pour aider à se recentrer, à prendre du temps sur ce qui est important pour soi. Parfois je pense plutôt à vendre un carnet avec le chatbot, que d’en faire une machine hyper intelligente !

Ce qui est difficile aussi, c’est que, dans le milieu des startups, j’ai l’impression que « startup = techno ». Et que si on ne pense pas « techno » et « algorithmes de fous qui vont révolutionner un truc », alors ce n’est pas une startup !

Alors que pour moi, « start-up = techno qui va permettre de rendre accessible ».

C'est pour ça que j'ai choisi un chatbot : pour que cela soit accessible au plus grand nombre et le plus simplement possible.

Et il est où le curseur en ce moment ? C’est quoi les échéances à venir : de faire décoller Louise à tout prix ? C'est Margot, Loïc ET Louise ? Ou…

Là, le curseur, il est sur "comment on fait pour que tous tiennent dans le même bateau" ! Que le projet s'appelle Louise ou pas d'ailleurs. Mais comment on arrive à atteindre un stade où on a apporté une solution.

Ça m'embêterait de passer à autre chose sans avoir vraiment testé une solution à plus grande échelle. Faire exister le projet à une échelle suffisante.

Et après on voit, si c'est viable ou non. Mais ce n'est pas le plus important.

Le tout avec Loïc, aux côtés d'une Margot qui a ses parents présents.

Bref… Comment on fait pour courir sans s’épuiser et trouver un rythme de croisière, qui roule !

Il y a un TED qui m'avait marquée, c’est celui de Guy Winch, sur prendre soin de son mental comme on prend soin de son corps… Joli programme ! Tim Ferriss m’inspire beaucoup aussi, sur l’angle "les bonnes questions", ce qu'on veut faire avec Louise. D’aider à se poser les bonnes questions qui aident à se recentrer.

Et je trouve ça vraiment inspirant !

Jolie rencontre que celle d’Emilie ! Et beaucoup de respect pour la démarche d’alignement qui est la sienne, passant par la création de son propre projet.

Les embûches sont nombreuses. Le milieu plein de clichés, pressions, loups et pièges. Mais l’opiniâtreté d’Emilie comme de Loïc, à chaque fois, a forcé mon respect.

Belle route à toi, à vous 2, vous 3, vous 4 si je mets Louise dans le bateau !

Et bien envie que votre chatbot envahisse toutes les structures qui laissent de côtés les états d’âme ou les émotions, tellement humaines ! Qu’il se décline sous toutes les formes qui puissent nous accompagner, au quotidien, dans le sac, cartable, sac à dos, PC et ailleurs, et nous emmène vers ces pauses, souffles et décisions qui, petits pas par petits pas, peuvent nous rendre plus libres. Par Carole Babin-Chevaye

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