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2040... avec Karen Bastien

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Reprendre la main sur nos données, avec Karen BASTIEN, datajournaliste.

Dans le podcast "Dites à l'Avenir que nous arrivons", réalisé avec les Eclaireurs - le média des initiatives positives de Canal+ Group - et l'Institut des Futurs souhaitables, Mathieu Baudin, Directeur de l'Institut reçoit un.e invité.e qui lui partage son regard sur l’époque, confie ses visions de futurs souhaitables et ses contributions concrètes pour les faire advenir. Ces échanges se finissent sur un conte uchronique, situé en 2040, lu par Mathieu, que nous co-écrivons sur la base des idées et éléments de l'invité.e.

#CParti!

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Nous sommes au début de l'automne 2040. Je suis venu te rejoindre, Karen, au bord de la mer, en Bretagne.

Nous sommes à Roscoff plus précisément, puisque c’est là que tu as décidé de te retirer après une vie professionnelle intense. Il fait beau, comme toujours en Bretagne depuis une dizaine d'années.Et l’on aperçoit au loin la petite île de Batz, paradis des oiseaux comme des poissons.

Toi qui a été passionnée par les datas dès le début de ce siècle, tu as porté de nombreuses initiatives qui, aujourd’hui, en 2040, semblent comme des évidences. Pourtant… derrière ces 4 lettres, D A T A, qui veut dire "chose donnée" en latin, quel monde ! Celui des données justement. Celles que nous engendrons à travers nos activités connectées. Celles que nous libérons aussi, que l'on soit un individu, une institution publique ou une entreprise privée.

Pionnière, tu as cherché à faire comprendre que ces données n'étaient pas uniquement des flux qui nous dépassaient, qui ne concernaient que des experts. Mais bien au contraire, qu’il s’agissait de biens communs, de constructions sociales et politiques, de véritables leviers pour mieux comprendre le monde et agir dessus. Il a fallu donc se réapproprier ces datas. Les déconstruire pour mieux les comprendre. Les remettre dans les mains des citoyens… C'était véritablement l'or noir, le carburant des algorithmes qui décidaient de nombreux aspects de nos vies. Dans tous ses recoins.

La prise de conscience a été soudaine. Mais la réappropriation, elle, a pris beaucoup plus de temps... Beaucoup de personnes y ont contribué. Comme la mobilisation d'associations citoyennes comme Regards citoyens, unissant citoyens et statisticiens, par exemple. Ou encore, la mobilisation du monde de "l'open data" qui œuvrait déjà à une plus grande transparence des données publiques ; ou celle encore de l'alliance des data-journalistes, qui ont poursuivi leur travail de pédagogie au-delà de leurs médias respectifs. Et leur persévérance a payé ! Car ils ont finalement réussi à créer une plateforme d'utilité publique pour décrypter les sondages et les grands indicateurs mondiaux…

L’introduction à l’école de la "literacy" des données a ensuite été une étape essentielle. Elle a permis de toucher tout le monde, l'Éducation Nationale ayant compris qu'on avait là une matière essentielle pour le citoyen éclairé du XXIe siècle.

Je me rappelle bien sûr des difficultés dont tu témoignais régulièrement… Celle de la peur instinctive de beaucoup face aux chiffres. Ou les freins posés par les GAFAM, les BATX(1) et autres NATU(2) qui avaient tout intérêt à ce que leurs algorithmes restent opaques. Mais les amoureux des données, qui étaient pléthores, ont été plus forts ! Et la data a fait naître bon nombre de nouveaux métiers ainsi qu’une nouvelle génération forte d'un nouvel état d'esprit.

Aujourd’hui, quand nous nous retournons sur le chemin parcouru, je repense à quelques initiatives que tu suivais à l'époque comme des signaux faibles annonciateurs. Le projet "Le dernier qui quitte l'avenue éteint la lumière" par exemple, des anciens No Lumen, qui avaient mis en place un décompte citoyen des éclairages nocturnes des magasins, et avaient évalué le coût écologique et économique en direct. Le scandale a été tellement énorme que la pratique a été stoppée net. Il y eut aussi des initiatives citoyennes autour des relevés atmosphériques. Cela a permis d'installer un réseau de mini-capteurs créés via des imprimantes 3D, transformant chaque foyer en un site de recueil sur les microparticules. Cette précision des données a permis d'influencer fortement les politiques locales en termes d’infrastructures routières et d’implantations industrielles.

Jamais! Jamais les scientifiques n’avaient pu bénéficier d’une couverture du territoire aussi grande, aussi fine et aussi rigoureuse.

Je me souviens enfin de la première plate-forme de décryptage collaboratif. Un fact-checking citoyen qui permettait de mettre à jour et de dénoncer les différents biais engendrés par ces algorithmes. Et surtout cette étape majeure, quand, face à la puissance qu'avait prise cette contre-expertise citoyenne, les grandes compagnies ont accepté d’intégrer des citoyens dans le process de création de leurs algorithmes. Vous y étiez enfin arrivés !

Mais la data est tel le poisson-lune... elle ne cesse jamais de croître ! Prenant toujours plus de place au sein des institutions et dans tous les domaines d'activité. On parle beaucoup de la gouvernance par les données. Il est donc important de rester vigilants...

Toi qui cultives désormais ton jardin, dans une Bretagne dont le ciel a la couleur de tes yeux, je te vois garder un œil alerte sur ce continent de Datas, continent à la croissance exceptionnelle, qui peut, si nous le souhaitons, favoriser une plus grande justice sociale, économique et écologique…

(1) BATX, les géants chinois : Baidu, le Google chinois, Alibaba, Tencent, Xiaomi - (2) NATU pour Netflix, Airbnb, Tesla et Uber

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Pour retrouver le podcast "Dites à l'avenir que nous arrivons" :

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Et le livre "Dites à l'avenir que nous arrivons", LEDUC, juin 2020 :

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